Problématique de la candidature unique ou de l’unité de Bennoo Siggil Sénégal à l’élection présidentielle de 2012 : entre souhait et faisabilité



La démocratie est, comme disait Wilson Churchill, le plus moins mauvais des régimes politiques. Venant étymologiquement de « demos » (Peuple) et de « Kratos » (Pouvoir), la démocratie désigne le pouvoir du peuple. Dans son discours au champ de bataille de Gettysburg de 1873, Abraham Lincoln définit la démocratie comme « the government of people, for the people and by the people », c’est-à-dire « le gouvernement du peuple, pour le peule et par le peuple ». Si la création de la démocratie est attribuée à Hérodote depuis 2500 ans, force est de reconnaître qu’elle a pris plusieurs formes à travers différentes aires géographiques comme en Afrique précoloniale. Mode d’organisation de la société, elle crée des rapports à la fois égalitaires et inégalitaires : gouvernants et gouvernés.
Mais ce qu’il faut aussi relever dans le phénomène démocratique, c’est la fonction de représentation qu’il crée.
Dans ce cadre, les gouvernants qui forment l’élite dirigeante sont choisis par les gouvernés. Dans son Principe du gouvernement représentatif, Bernard Manin parle de l’aristocratie de l’élection. En d’autres termes, l’élection produit le choix d’une élite politique parmi plusieurs prétendants. Aujourd’hui, cette tendance est accentuée par le multipartisme. En outre, le principe électif qui procure une légitimité politique, permet aux citoyens de désigner leurs dirigeants. Si dans la démocratie athénienne, le tirage au sort parmi les citoyens volontaires âgés de plus de 30 ans caractérisait le choix des conseils des représentants des tribus grecques (dix) distinguées par Clisthène pour constituer la Boulé (Conseil ou Assemblée des Chefs grecs dans l’Iliade parlant de la Guerre de Troie), si l’Ecclésia (Assemblée plénière du peuple) votait les lois par le système à main levée, l’avènement du suffrage universel a mis en œuvre un nouveau mécanisme de désignation des gouvernants. Il s’agit de la reconnaissance du droit de vote à l’ensemble des citoyens d’une nation.
L’élection est devenue de nos jours un carrefour d’enjeux entre plusieurs acteurs engagés dans la compétition pour l’accès à des positions influentes de pouvoir. Dans la mesure où l’accès aux positions représentatives de pouvoir est déterminé par l’élection, la compétition électorale que celle-ci génère, est actuellement intensifiée par les partis politiques dont leur rôle est de concourir ou de conserver le pouvoir. En cela, l’élection présidentielle de 2012 qui pointe à l’horizon ouvre un volet opératoire. Comme tout scrutin, elle traduit des enjeux de pouvoir et de positionnement importants.
Mais la particularité de ce scrutin est qu’il symbolise la rencontre entre un homme ou d’une femme et son peuple. De plus, le Sénégal est du point de vue constitutionnel est un régime présidentiel. On comprend alors pourquoi depuis quelques temps, se constitue une communauté de points de vue sur ce scrutin. L’opinion publique sénégalaise est obnubilée par une actualité politique presque dominée par le débat parfois passionnée sur la candidature unique ou plurielle de Benno Siggil Sénégal, coalition la plus significative de l’opposition.
Beaucoup s’autoproclament ou se présentent comme les « Pythagore » de l’analyse politique et électorale sans maîtriser les notions et concepts de la Science politique ou du Droit constitutionnel. Si ces derniers pourraient être considérés comme des intrus dans un champ disciplinaire qui n’est pas le leur, ne faut-il pas leur rappeler la formule philosophique : « Que n’entre pas ici celui qui n’est pas géomètre ! » Même si aujourd’hui, la tendance dans les sciences sociales est la transversalité. Pour autant, il est important de savoir s’approprier des concepts avant de les contextualiser. Cette attitude qui est une forme d’usurpation d’identité d’analyste politique nuit beaucoup à la rigueur intellectuelle et à la compréhension des phénomènes sociaux et politiques.
En effet, il ne s’agit pas de partir précipitamment en besogne pour analyser avec passion un scrutin aussi important que l’élection présidentielle, surtout si celle-ci doit se dérouler dans une vingtaine de mois. Dans cette kyrielle de publications sur la candidature dite unique ou de l’unité de Benno, notre regard portera ici, en tant que politiste, sur les formes de mobilisation politique permettant de comprendre la complexité de cette question de candidature. En quoi donc la candidature unique ou de l’unité semble être souhaitée par des électeurs et une majorité des chefs de partis politiques membres de Bennoo, et pose un problème de faisabilité ?
Répondre à cette interrogation suppose, au-delà de quelques précisions préliminaires importantes sur les contours de l’analyse politique et le bon usage des concepts, de mettre en lumière la problématique de la construction de la candidature unique.

1. L’analyse politique n’est pas un lit confortable où on se couche quand et comme on veut

La question de la candidature unique ou de l’unité selon, polarise le débat au niveau de l’opinion sénégalaise. Si cette question domine l’actualité, c’est parce que ce qu’on ne pouvait imaginer au Sénégal, il y a quelques années, fait aujourd’hui l’objet d’un débat public : il s’agirait de la question d’un projet de succession dynastique au pouvoir. Cette question n’est pas sans effet sur l’actualité politique nationale, car en réaction, s’est instauré un débat sur la stratégie électorale à adopter par Benno Siggil Sénégal. La question centrale serait de savoir si Benno doit aller sous la bannière d’une candidature unique, de l’unité ou d’une candidature plurielle.
Toutefois, la complexité des enjeux, des trajectoires différentes des acteurs et de l’espace politique, et les logiques sociales qui influencent la compétition, appelle une lucidité, une prudence et une vigilance dans l’analyse pour éviter de tomber dans les travers des raccourcis qui transformeraient malheureusement la réflexion en un vernissage qui s’écaille.
Pour ce faire, il importe d’entreprendre une vigilance dans l’exégèse des phénomènes politiques. En effet, la règle de la vigilance épistémologique si chère à René Descartes est un des fondements du raisonnement scientifique qui doit viser l’objectivité. Quand on veut prétendre être l’érudit de l’analyse politique ou électorale alors qu’on ne maîtrise pas les ficelles du métier, le bon sens et la sagesse recommandent l’humilité et la modestie. Mais l’homme aime toujours se mesurer à ce qui le dépasse.
Dans ce cadre, il importe d’éviter les raccourcis qui conduisent immanquablement à du réductionnisme. Ainsi, notre propos s’épargnera de loin de toute attitude de polémiste à travers des interjections du genre « Ne nous racontons pas des sornettes ! » Le débat ou l’entreprise de l’argumentation demande un minimum d’élégance ! Car, cette façon passionnée d’envisager les problèmes qui se posent nous détourne de la réalité, en nous faisant buter sur un obstacle épistémologique.
De plus, n’est-il pas plus convaincant aux yeux des lecteurs de fournir des données quantitatives précises lorsqu’on aborde des questions avec une approche quantitative ? L’analyse des phénomènes politiques exige, dans une perspective de neutralité axiologique, de prendre du recul afin de saisir les problèmes dans leur banalité et complexité afin de les expliciter objectivement. Alexis de Tocqueville n’avait-il pas raison de dire : « il ne faut pas traiter de la même façon les affaires du dehors et celles du dedans » ? Sous ce rapport, l’analyse politique gagnerait en crédibilité si elle est portée par ceux qui maîtrisent ses ficelles. Car, elle ne doit reposer ni sur le dogmatisme, encore moins la stigmatisation.
En cela, n’est-il pas important de s’abstenir de toute entreprise d’étiquetage sur des acteurs dont on n’a jamais étudié empiriquement leurs trajectoires politiques, ni leurs partis ? En ce sens, l’usage de certains mots comme « imposer » ou « soumettre » dévoile le visage de ces apprentis-écrivains, visage qui projette des ondes de dogmatisme et de pensée unique, bref de terrorisme intellectuel. Comment penser que certains leaders de Bennoo puissent « imposer » ou « soumettre » le PS, l’AFP et l’APR à un schéma de candidature unique ou de l’unité sachant que chaque parti est souverain ? Faut-il envisager la question de la candidature de Benno sans tenir compte du principe de souveraineté des partis membres ? Les tenants de cette thèse ont-ils acheté aux leaders et militants de ces partis cités leur carte de membre ? Sommes-nous dans une dictature de la pensée ou dans une ère féodale où on « imposerait » ou « soumettrait » les gens ?
Autant de questions qui montrent le caractère complexe de la candidature unique ou de l’unité qu’il faille analyser avec lucidité et vigilance. Car, la construction d’une alliance électorale autour d’une coalition de partis se fait toujours dans la concertation qui est mâtinée d’accords et de désaccords. Ce processus vise naturellement la recherche d’un consensus autour d’une stratégie électorale. Rendre compte de la problématique de la candidature unique ou de l’unité de Benno suppose d’abord d’apporter certaines précisions. Car, les sciences sociales sont iconoclastes et si on utilise certaines notions, il est conseillé de les préciser pour éviter la confusion, voire de jeter de la poudre aux yeux des lecteurs.

2. Précisions sur l’usage maladroit de certains termes

L’adoption d’une position dogmatique dans l’interprétation des phénomènes sociaux peut nous détourner de l’essentiel, c’est-à-dire le fait de croire avec certitude que les choses se passent ainsi nous conduit à passer à côté de la réalité. La théorie de la falsification de Karl Popper, comme me rappelait le Pr Sémou Pathé Guèye, constitue un billet pour la testabilité des systèmes sous l’angle scientifique. Autrement dit, une théorie devient scientifique lorsqu’elle pose en même temps que sa création, les conditions mêmes de sa réfutation. Or, qu’en est-il exactement ? C’est le fait d’être un profane de l’analyse politique voulant analyser de la même façon toutes les élections locales, législatives et présidentielle alors que les acteurs et les enjeux ne sont pas les mêmes déjà.
En outre, l’usage de certaines notions ou termes à la place qui ne sied pas fausse le sens et la portée de l’argumentation. On peut bien comprendre l’oxymore en rhétorique, mais c’est aussi de l’hérésie que de parler d’«omniprésidence » dans l’exégèse des phénomènes politiques au Sénégal. Quand on est intellectuel, on doit faire attention à l’usage des notions et concepts, sinon on verse dans le pédantisme, et par ricochet on passe à côté de la signification des mots et concepts. A ce titre, le mot « hégémonie » ne serait-il pas plus approprié sous l’angle du vocabulaire de la Science politique ?
Avec de sérieuses réserves, il ne semble pas convaincant d’affirmer que dans les années 80-90, le champ politique qui est un espace d’opposition de forces politiques, ait été bipolarisé par le PS et le PDS. De sérieuses études scientifiques sont pourtant disponibles sur le multipartisme au Sénégal et il serait d’abord important de se les approprier avant d’avancer certains propos, surtout lorsqu’on n’a jamais fait une étude empirique sur la question. La prudence se doit donc d’être ici de rigueur.
Le multipartisme limité (trois puis quatre courants de pensée) encadré par la grande Loi n° 75-68 du 9 juillet 1975 relative aux partis politiques et le multipartisme intégral instauré par la Loi n° 81-17 du 6 mai 1981 déconstruisent déjà l’usage de cette notion de « bipolarisation ». En réalité, le concept de « domination » sied mieux ici. Pourquoi ? Parce que depuis la loi de 1975, on peut relever dans l’espace de luttes politiques des partis comme le RND du Pr. Cheikh Anta Diop, qui mobilisait une frange de la catégorie dite intellectuelle ou de cadres. Aussi, ne faut-il pas se rappeler qu’en 1983, il y a eu l’accès à l’Assemblée nationale de partis autre que le PS et le PDS : il s’agit par exemple du RND.
Cette présence d’autres partis de l’opposition à l’Assemblée nationale s’est d’ailleurs accentuée lors des élections législatives de 1988, 1993 et 1998 si on se limite à la séquence 1980-1998. C’est ce qui explique cet émiettement de l’espace politique et que sous-tend le multipartisme. En substance, le champ politique sénégalais n’a pas été bipolarisé comme c’est le cas aux Etats-Unis, mais plutôt dominé par le PS et le PDS dans les années 80-90.
Par ailleurs si l’on mène une analyse objective, il est important de la dépoussiérer de toute stigmatisation ou passion. Sinon, comment comprendre la qualification du PS, de l’AFP et de l’APR de « colosses aux pieds d’argiles » alors qu’on est décousu de la sociologie des partis politiques au Sénégal en général et des partis cités ? Il faut aussi être un fabricant d’indices de stigmatisation et de caricature pour vouloir faire porter à M. Ousmane Tanor Dieng seul le bilan des 40 ans de règne du PS.
En termes comptables, un bilan a toujours un actif et un passif. Ne serait-il pas ainsi faire montre de malhonnêteté intellectuelle en ne voyant que le côté négatif du bilan du PS ? Ce qui est aussi valable pour les 10 ans de règne du PDS. N’est-il pas aussi du raccourci que de vouloir attribuer un bilan négatif à l’APR qui est un parti qui vient de naître et qui, du point de vue de l’analyse, ne peut être considéré pour le moment comme un parti de gouvernement ?
Est-il prudent ou pertinent d’affirmer que « Pour une frange non négligeable de l’électorat », voter pour Messieurs Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse et Maky Sall, « revient à prendre le risque de tomber de Charybde en scylla ? » Quelles sont les données quantitatives précises qui fondent cette argumentation ? A-t-on administré des sondages qui seront d’ailleurs développés plus tard ? Pour éviter ces analyses aériennes, il est important de s’approprier d’une règle de l’analyse politique : une élection n’est pas gagnée d’avance malgré le discours que peuvent tenir les hommes politiques !

3. Les fondements du souhait et de la problématique de la faisabilité de la candidature unique ou de l’unité de Benno
Si l’on porte un regard sur la stratégie électorale à adopter par la coalition Benno Siggil Sénégal, tout laisse à penser qu’elle s’installe à la frontière entre deux formules de candidature : la candidature unique ou de l’unité et la candidature plurielle. Chacune de ces candidatures mobilise des partisans qui avancent un argumentaire. Mais le fétichisme de la candidature unique semble constituer un souhait à la lecture des discours de la majorité des leaders de partis membres de Benno. Ce qui n’est pas sans poser des difficultés de faisabilité.


3.1. La candidature unique : un souhait selon le discours des acteurs

Le traitement médiatique qu’on en fait semble la transformer en un fétichisme. En d’autres termes, tout laisse à penser que cette forme de stratégie électorale est la seule voie royale permettant à Benno de gagner l’élection présidentielle de 2012. Les tenants de cette thèse semblent considérer celle-ci comme un gage de victoire de ce scrutin. Cette victoire du candidat Benno pourrait même passer au premier tour pour certains, si l’élection se transformait en logique référendaire.
Cette première option de candidature est cependant réfutée officiellement par un parti membre de Benno : il s’agit de l’APR. Ce parti défend la candidature plurielle comme possibilité de créer une autre alternance. L’argumentaire des tenants de la candidature plurielle se fonde sur le principe de souveraineté des partis membres de Benno. Se référant à l’expérience de 2000 et à la situation conjoncturelle du pays, ces derniers voient en la candidature plurielle le moyen permettant de mieux mobiliser l’électorat de chaque parti autour de son candidat avec l’entente sur le report de voix au second tour pour le candidat le mieux placé.
Si la candidature semble souhaitée par les leaders et militants de Benno en majorité, force est de noter un problème de faisabilité.

3.2. La faisabilité de la candidature unique en question

Les enjeux qui sous-tendent toujours une élection traduisent toujours des manœuvres au sein et à la périphérie des partis et coalitions de partis. Certains indices permettent d’étayer notre propos : il s’agit de la manipulation de l’opinion par les sondages et de la mise en œuvre de la candidature unique ou de l’unité qui plombent sa faisabilité.


3.2.1. Un sondage générateur de divergences au sein et en dehors de Benno
Le sondage réalisé récemment par le cabinet Emergence Consulting Group de M. Moubarack LÔ a généré une controverse suite à la publication de ses résultats, aussi au sein de Benno que dans la majorité présidentielle. Mais d’une manière générale, le sondage met en relief la typologie de marges de manœuvre des hommes politiques et son rôle d’influence et de manipulation dans la vie politique et l’opinion. En effet, la réélection de F. Roosevelt en 1936 aux Etats-Unis a permis de mettre en relief la capacité des sondages dans la prévision des résultats d’une élection.
A la fin des années 60, les instituts de sondage vont donc faire leur apparition aux Etats-Unis en s’imposant ensuite comme les seuls instruments à même de dire ce qu’est et ce que veut l’opinion publique. Dans une autre aire géographique comme la France, ils émergent surtout en 1965 lors de la première élection présidentielle au suffrage universel direct (CSA en 1933, IFOP en 1938, TNS-SOFRES en 1962, BVA en 1970, Louis Harris en 1977).

La capacité à anticiper les résultats des élections contribuent à la légitimité des instituts de sondage. Au Sénégal, la publication et la diffusion des sondages d’opinion ne sont pas autorisées. Cette règlementation est encadrée par la loi numéro 86-16 du 14 avril 1985 et son décret d’application numéro 86-616 du 22 mai 1986. Pourtant dans les années 1970, les sondages sont considérés comme des techniques scientifiques permettant de faire parler le peuple directement sans intermédiaire.
En cela, les sondages semblent constituer l’unique moyen de production quantitative des phénomènes sociaux. Ainsi, émerge une nouvelle croyance à une fabrique de l’opinion. Toutefois, il est important de se demander si les sondages reflètent fidèlement l’opinion publique. Autrement dit, comment envisager au plan épistémologique la réalité de ces instruments de mesure de l’opinion ?
Effectivement, Pierre Bourdieu s’est interrogé sur la scientificité des sondages en affirmant que « l’opinion publique n’existe pas ». Mais en démontant que l’opinion publique n’existe pas, Bourdieu ne remet pas en cause l’existence des sondages d’opinion mais pose plutôt la question de leur scientificité. C’est là qu’il est intéressant d’apprécier ce récent sondage du cabinet Emergence Consulting Group dirigé par le Statisticien, M. Moubarack Lô, sur l’élection présidentielle de 2012.
Selon ce sondage, Me Abdoulaye Wade viendrait en tête au premier tour de l’élection présidentielle si le scrutin se tenait au mois de juin 2010. Sur un échantillon de 1500 personnes interrogées dans la région de Dakar, Me Wade serait crédité de 34,7%%, suivi de MM. Macky Sall avec 19,4%, Ousmane Tanor Dieng 11%, Cheikh Bamba Dièye 9,2%, Idrissa Seck 5,1% et Moustapha Niasse 4,9%. Au second tour, le sondage révèle que M. Macky Sall remporterait la présidentielle avec 46% des voix contre Me Wade qui obtiendrait 36%.
Les résultats du sondage révèlent qu’en dehors de Maky Sall, aucun des autres candidats ne peut battre Me Wade. Sur la candidature unique de Benno dont plus de 60% préfèrent, le sondage révèle aussi que M. Maky Sall serait le premier choix (42%) suivi de MM. Ousmane Tanor Dieng (17,4%), Cheikh Bamba Dièye (15,4%) et Moustapha Niasse (7,8%). Cependant, ces micro-données seraient revues en baisse sur la base du critère « base groupe des opposants », qui représente l’électorat qui ne vote pas pour Me Abdoulaye Wade.
Sur d’éventuels duels entre candidats, le sondage du cabinet Emergence consulting group révèle que Me Abdoulaye Wade (48,2%) battrait M. Moustapha Niasse (25,8%) et gagnerait aussi (46,4%) contre M. Ousmane Tanor Dieng (33,5%). Toutefois, il précise que dans ce dernier cas de figure, 20,1% ne s’expriment ni pour l’un, ni pour l’autre des candidats (Wade et Tanor).
Si l’on considère ces chiffres, on se rend compte d’une inadéquation entre ceux-ci et le poids électoral des différents partis, sauf l’APR qui n’a pas encore présenté de candidat à une élection présidentielle. Car même si ce type de scrutin se réfère généralement à la personnalité du candidat, force est de prendre en considération le poids électoral du parti qui l’investit.

Sur le site Tageo.com qui est un annuaire mondial des villes, la population de Dakar serait actuellement de 2 613 700 millions d’habitants. Sous ce rapport, il semble légitime de s’interroger sur la représentativité de l’échantillon du Cabinet Emergence Consulting Group. En d’autres termes, un échantillon de 1500 personnes est-il représentatif d’une population dakaroise de plus de 2,5 millions d’habitants ? Quelle est précisément la méthode qui a été utilisée (échantillon représentatif, échantillonnage aléatoire, au hasard simple, en grappes ou en strate) même si par définition l’échantillon est une petite quantité d’une matière ou d’information ?

Si la structure de l’échantillon de ce sondage est fragmenté selon le lieu d’habitation (Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque Rufisque/Bargny), l’âge (18 ans et plus), le sexe et le niveau d’études, pourquoi n’a-t-on pas intégré la variable socioprofessionnelle qui pourrait être intéressante en termes d’analyse? Cela n’aiderait-il pas à mieux comprendre la nature ou la signification du vote, du comportement électoral ? Qui a-t-on exactement interrogé ? Ces questions semblent importantes pour comprendre les résultats de cette enquête.

Si l’on part des postulats énoncés par Bourdieu, on peut avoir une idée précise sur la fabrication des sondages. D’abord, lorsqu’on administre un sondage d’opinion, on suppose que tout le monde a une idée sur le questionnaire élaboré. Or, la question qui se pose est celle des « non-réponses ». Dans un pays où le taux d’alphabétisation est faible, ces non-réponses peuvent être importantes. Ce qui pourrait dénaturer les résultats du sondage. Ensuite, quand on établit le questionnaire du sondage, on se dit que toutes les opinions sur les questions posées se valent. Or, les opinions n’ont pas la même influence. Enfin, la manière dont les questions sont posées pose parfois des interrogations parce qu’elle induit les réponses à apporter, c’est-à-dire influence la personne interrogée. Cette critique portée sur la technique des sondages peut être mieux saisie à trois niveaux :
3 - le choix de l’échantillon représentatif (qui accepte d’être sondé ? Qui est accepté dans le sondage ? Qui abandonne les sondages ? Quelle est la compétence des cibles ? Combien de personnes on interroge ?),
4 - le choix des questions (comment sont formulées les questions étant donné que tout le monde n’a pas une opinion sur tous les sujets ?), et
5 - le traitement des questions (Est-ce que les non-réponses sont prises en compte ? Les réponses sont-ils standardisées dans de grands agrégats alors qu’en réalité les réponses seraient beaucoup plus fines ? Comment a-t-on exploité les statistiques obtenues ?).
On peut alors appliquer ce schéma au sondage du Sieur LÔ dont il faut reconnaître, malgré tout, sa compétence en tant que Statisticien. Un sondage réalisé sur la seule région de Dakar en 2010 peut-elle refléter objectivement la réalité des résultats d’une élection présidentielle devant se tenir en 2012 si l’on considère la volatilité du vote? Ce sondage est-il représentatif de l’électoral national pour mieux connaître le comportement des électeurs sénégalais? Les cibles de ce sondage sont-elles suffisantes ? Autant de questions qui montrent le rôle de manipulation que jouent les sondages dans la fabrique de l’opinion.

Précisément, Patrick Champagne pointe du doigt cette croyance érigée de l’opinion par les sondages, c’est-à-dire leur influence sur les électeurs. On peut de ce point de vue comprendre la réaction de M. Maky Sall, Président de l’APR suite au sondage de M. Moubarak LO lorsqu’il soutient : « ça ne nous surprend pas. C’est ce que nous constatons sur le terrain… ». Même si c’est un discours d’homme politique en quête de légitimation de sa candidature, la prudence de M. SALL serait ici plus appropriée. Ainsi, ce sondage du Sieur LÔ pourrait s’inscrire objectivement dans la perspective des grandes manœuvres inhérentes à l’espace de luttes politiques. Les résultats produits par ce sondage confortent ainsi la problématique de la faisabilité de la candidature unique ou de l’unité de Benno.
Ils donnent un classement qui a d’ailleurs été contesté par les autres acteurs. Ce qui crée déjà une confusion dans la coalition Benno. On pourrait également se demander comment M. Moustapha Niasse qui est crédité de 4 ,9% selon ce sondage pourrait être candidat de Benno devant M. Ousmane Tanor Dieng qui a 11%. Car, le choix du candidat de Benno est entre ces grandes personnalités puisque M. Maky Sall a déjà clairement affirmé sa préférence pour la candidature plurielle.

3.2.2. La mise en œuvre de la candidature unique
L’autre facteur bloquant et qui est un sujet qui fâche est la question de la mise en œuvre de la candidature d’une coalition électorale. Même si elle est occultée, la question des critères de choix de ce candidat unique ou de l’unité sera intéressante. La norme standard est que toute coalition électorale se construit autour du parti majoritaire de la coalition, même si l’élection présidentielle est la rencontre entre un homme et un peuple. Les expériences récentes de la CA2000 et de la Coalition Sopi 2007 autour de Me Abdoulaye Wade, de la CODE 2000 et CPA 2007 autour de M. Moustapha Niasse sont des références intéressantes pour tout débat sur les critères de choix du candidat de Benno.
En dehors de ce sondage auquel il est légitime d’opposer des réserves, force est de constater que le PS est le parti le plus représentatif dans Benno. A cet effet, les autres partis accepteront-ils de se retrouver autour du PS ? Le contentieux électoral de 2000 entre l’Afp et le PS est-il réellement vidé ? Les candidats de l’Afp sont-ils prêts à voter pour M. Ousmane Tanor Dieng comme candidat de Benno ou ceux du PS le sont-ils autant pour M. Moustapha Niasse qui a beaucoup joué dans leur perte du pouvoir en 2000? L’erreur qui semble être faite souvent est de vouloir assimiler les élections locales de 2009 à l’élection présidentielle alors que les enjeux ne sont pas les mêmes.
En outre, les positionnements internes au sein de Benno rendent plus complexe la faisabilité de la candidature unique. L’analyse des trajectoires des acteurs de la coalition révèle des affinités et proximités de longue date qui peuvent être converties en termes d’alliance électorale. Va-t-on créer une candidature unique sur la base d’un facteur émotionnel ? On pourrait également s’interroger sur le mode de choix du candidat unique de Benno. Est-ce que ce sera un collège électoral de Benno composé de ses élus locaux qui se chargera de la procédure de désignation ? Une telle procédure conviendra-t-elle aux militants des partis membres de Benno ? Sous ce rapport, il est important de préciser que tout choix d’un candidat unique ou de l’unité devrait être précédé de la procédure de d’investiture du candidat de chaque parti, c’est-à-dire les candidats à la candidature unique.

3.2.3. Un candidat unique ou de l’unité de Benno en dehors des partis membres est-il possible ?
Par ailleurs, l’option consistant à faire un militaire, voire un Général, quelle que soit sa personnalité apparaît difficilement réalisable pour plusieurs raisons. La sociologie électorale du Sénégal met en lumière une certaine distanciation entre l’électeur et l’homme de tenue. Cela est lié à la trajectoire politique du pays qui n’a pas été jusque là dirigé par un militaire, même s’il y a des compétences avérées dans toutes les disciplines au sein de l’armée sénégalaise. De la même manière, il serait difficile de voire un candidat de la société civile être investi comme candidat unique de Benno.
Pour les deux cas de figure, il suffit de se référer au mode d’investiture des candidats à l’élection présidentielle au Sénégal. En principe, ce sont les partis qui encadrent les candidatures aux élections au Sénégal, sauf exception pour les candidats indépendants avec des conditions précisées (nombre de signatures exigées et caution par exemple) par la loi électorale. De plus, les partis politiques sont par définition des organisations dont le but est de concourir pour accéder et conserver le pouvoir. De ce point de vue, il est important de se tenir à la prudence dans l’analyse malgré le foisonnement actuel des mouvements citoyens entrainant un émiettement du champ politique.

François Brune précise qu’ « ETRE citoyen, ce n’est pas seulement disposer du droit de cité ; c’est être partie prenante de ce qui s’y décide. C’est se sentir membre d’un peuple souverain. » A ce titre, l’analyse de l’élection présidentielle de 2012 crée une communauté de points de vue. Toutefois, les regards que l’on porte sur ce scrutin plein d’enjeux gagneraient en crédit s’ils sont dépoussiérés de pulsions. Car, l’analyse politique n’est pas synonyme du port de l’uniforme du snipper qui tire sur tout ce qui bouge.

Aucune élection ne se gagne d’avance ! L’espace de luttes politiques au Sénégal est complexe en raison surtout des logiques sociales (ethnie, parenté, alliances, confréries,…) qui l’influencent. Les figures politiques qui semblent vouloir participer à cette compétition électorale ont des trajectoires politiques très différentes. Les marges de manœuvre dont disposent ces leaders n’ont pas aussi la même surface d’influence. Ces derniers n’ont pas également les mêmes ressources d’allégeance. C’est pourquoi lorsqu’on aborde la problématique d’un tel scrutin, il est important de le faire sous l’angle de la complexité des problèmes. Une telle démarche nous dédouane des raccourcis et des analyses teintées de passion. L’usage maladroit des notions et concepts peut dénaturer l’approche d’un phénomène social ou politique.

Une coalition électorale est complexe dans son organisation et son fonctionnement. En cela le consensus doit être recherché dans la méthode et non le diktat. Les règles du jeu se doivent d’être clairement définies. Si cette candidature suscite beaucoup de passion, c’est qu’elle semble être un souhait. Mais la mère des batailles reste la faisabilité. Car, elle devrait s’inscrire dans une logique objective ne lésant pas la réalité sociologique et représentative des partis membres. Ce débat sur la stratégie électorale Benno qui doit inclure le mode de désignation de son candidat pourrait ne pas occulter la norme standard des critères de choix d’un candidat à une élection : l’âge, le capital social, politique et symbolique, l’expérience d’homme d’Etat.
Peut-on affirmer que la candidature unique ou de l’unité est la seule capable de faire gagner Benno  ou est-ce un piège ? Le vrai problème semble être la fixation consensuelle des règles du jeu (fichier électoral, maintien des deux tours, …)

Par Abdou Rahmane THIAM, Docteur en Sciences politiques - Mo

Lundi 12 Juillet 2010 16:12


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